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Anne Owens

Hommage à Jean-Baptiste Botul

Publié le 18 Avril 2013 par Bap in P comme Pastiche

La galerie La Varangue invite Y. O., figure emblématique de la scène artistique havraise, pour une performance unique le 12 avril 2013. Le défi proposé à l'artiste est à la fois une critique de l'existentialisme sartrien, dont la ville du Havre peine encore à se remettre, et un hommage au philosophe Jean-Baptiste Botul, dont la « Métaphysique du Mou1 » forme le socle sensible et conceptuel des recherches plastiques du Havrais.
La Nausée, parue en 1938, jette l'opprobre sur toute une ville. Seule la destruction quasi totale du Havre en 1944 distraira un instant ses habitants de leur combat contre le visqueux comme catégorie immanente du lieu. Avec la reconstruction de la ville par Auguste Perret, tentative pour éradiquer la catégorie du visqueux en affirmant le primat de la ligne droite et du béton sur toute possible aliénation du lieu par ces chevaux de Troie de la siruposité que sont le végétal et le baroque, le Havre croit pour un temps s'être purgé des retombées de l'existentialisme. Illusion que l'histoire de la ville viendra dissiper. La crise économique des années 2010-2013 voit le retour en force du visqueux, sous forme de tags vermiculaires, de dépôts d'ordures sauvages, de feuilles mortes en décomposition proliférant dans les interstices urbains. Le refoulé menace à nouveau la ville, sollicitant les autorités, mais aussi les artistes havrais, fer de lance du mouvement de résistance.

La première partie de la performance est un corps à corps avec un polyèdre irrégulier que l'artiste recouvre d'une couche de peinture grise.
Les lecteurs de Jean-Baptiste Botul auront reconnu dans ce prolégomène une critique (au sens kantien de ''Kritik3'') du concept sartrien de viscosité. Sur le support dur, fait d'une matière à la fois nattée et quadrillée, l'artiste applique la solution dont la viscosité ne va pas résister à l'épreuve de la dessication. Aspirée dans les interstices de la matière poreuse, soumise à un inéluctable processus de déshydratation, la viscosité se floute, se mincit en une pellicule qui fait office de peau pigmentée incapable de masquer la dureté immanente du support. Aucune contingence dans le geste sûr de l'artiste, dans l'aller-retour du pinceau qui gravite seulement parfois vers le pot. Pour l'artiste havrais, ce premier acte signe la mort tragique du visqueux, catégorie dont sa ville (la cité, d'où le concept de performance citoyenne, au sens propre) n'en finit pas de vouloir se débarrasser.
Le choix d'un gris satiné, refusant tout compromis avec la lumière, propice à l'éclosion des arêtes et des angles vifs, gris sans arrière pensée de couleur, florentin dans sa monochromie linéale, aux antipodes des chatoiements vénitiens, trahit plutôt qu'il ne dévoile le biais proprement botulien de la performance. On se souvient en effet que Botul dénonçait le diktat du visuel dans l'art, auquel il préférait le tactile, notamment le tripotage. Le gris, ici, n'est pas un compromis entre le noir et le blanc, c'est une quiddité, une absence, une façon de faire disparaître la surface au profit des volumes, des formes, dont l'appréhension peut passer par la vue, certes, mais aussi et surtout par le toucher, sublimant une angularité qui renvoie à des expériences esthétiques à la marge, et pourtant universelles, telles que le choc frontal d'un tibia contre un coin de table, dont la prégnance nociceptive constitue le plus extrême exemple d'épiphanie sensorielle.

La seconde partie de la performance se déroule selon un plan dialectique au classicisme assumé  : si la thèse proclamait le triomphe (tragique en soi) du dur sur le visqueux, l'antithèse affirme l'incontournabilité de la mouïté par l'adjonction de coussins disposés selon une scénographie qui fait un clin d'oeil délibéré aux œuvres des hyper-réalistes américains : trois coussins à plat pour l'assise, trois coussins dressés pour le dossier. On comprend mieux désormais le titre de l'oeuvre : ''Le sofa à trois places''.




La synthèse, moment décisif (angulaire), coda (au sens où l'entend Bach) de l'oeuvre, voit l'artiste s'allonger sur le sofa. C'est le dispositif où se teste l'évidence : la mouïté des coussins ne s'exprime que grâce à la résistance que leur oppose le support peint en gris. Le dur n'est au fond que l'extension du domaine du mou, voire (et c'est sans doute la leçon de radicalité que nous donne l'artiste havrais) une des modalités de la mouïté. La synthèse résout avec élégance la contradiction dialectique sur laquelle Botul avait buté (3), en montrant que la collaboration entre les deux principes est bien la réponse radicale, révolutionnaire, à la tyrannie du visqueux.

L'exposition se tiendra à La Varangue entre le 18 et le 21 avril 2013.

(1)  La Métaphysique du mou, texte établi et annoté par Jacques Gaillardéd. Mille et une nuits, coll. « La Petite Collection », no 527, 109 p., Paris, 2007 (ISBN 978-2-75550-030-1)
(2)  Hans Michael BaumgartnerKants "Kritik der reinen Vernunft". Anleitung zur Lektüre. 6. Aufl. Alber, Freiburg/München 2006, ISBN 3-495-47638-5, pp. 34 et suivantes.
(3) Pour Botul (Métaphysique du mou, page à vérifier), si le dur est une modalité du mou, leur co-existence est impossible puisque le dur et le mou ne peuvent être que des modes successifs de l'étant. Pour O., les deux coexistent dans un rapport d'interpénétration mutuelle.   
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